(Pologne, 1988) De Krzyszlof Kieslowski

Avec: Miroslaw Baka, Krzysztof Globisz, Jan Tesarz

Scénario: Krzysztof Kieslowski et Krzysztof Piesiewicz

Images: Slawomir Idziak

Musique: Zbigniew Preisner

Mise en situation

   Le destin de trois étrangers: un vieux chauffeur de taxi qui mourra assassiné; un jeune homme quelconque qui deviendra son meurtrier; et un avocat débutant qui tentera vainement de l'innocenter.

 

 

 

Chapitre un

La composition visuelle

ou

Les fragments symboliques

 

 

    Ce qui distingue le film Tu ne tueras point de Krzysztof Kieslowski ce n'est pas tant la petite histoire racontée, que le lugubre destin du personnage principal et par osmose, de la Pologne perdue, en perte d'identité, une ville sur le bord du gouffre, encerclée de toute part par la répression, réduisant l'homme à l'assujettissement, au néant, à une poussière au milieu d'une structure défaillante et stagnante. Ainsi, cet environnement glauque se révèle jusque dans le traitement iconique des photogrammes, entre autre, par le biais des contours noirâtres informes du cadre et les tons de jaune et de vert qui confère au discours filmique, une particularité, une caractéristique au niveau de la perception organisationnelle des micros circuits mouvant à l'intérieur du cadre. C'est ainsi qu'ils sont enfermés, cloîtrés, isolés dans des structures lugubres, ce qui permet de focaliser, centraliser, orienter le regard du spectateur sur des éléments précis, choisis par l'instance de production. Par cette approche esthétique, Slawomir Idziak, le directeur photo, octroie à ce dispositif une force de dénonciation efficace et inébranlable. "Pour cerner ces jeux impitoyables de la vraie haine et du faux hasard, il fallait une caméra qui ne se détourne jamais de l'insupportable en renfonçant l'aspect claustrophobe: l'opérateur Slawomir Idziak nous laisse des images fortes et inoubliables". (Extrait des Cahiers du cinéma, numéro 409, juin 1988, p.29) Le fait d'exprimer la réalité par des images figuratives ne constitue pas, de la part de Krzysztof Kieslowski, une volonté arbitraire, mais au contraire, le but premier consiste à figer, racoler, juxtaposer des liens fragmentaires entre eux, afin de produire un effet de dénonciation synchronique. Par exemple, dès le début du générique, nous pouvons discerner au milieu de ces séquences des images, des allégories; ceux d'un rat mort dans un ruisseau et d'un chat pendu au milieu d'un bidonville. Cette matière riche de sens et de signification introduit et extrapole la substance filmique pour offrir au spectateur un avant goût du contenu diégétique.

    En résumé, la violence montrée ne réside pas seulement dans l'historiette ou l'anecdote racontée mais dans l'univers dans lequel se déroule le récit car, si le film fonctionne, c'est entre autre dû aux fragments symboliques qu'ils proposent.. Comme le souligne Walter Benjamin dans son livre l'Homme, le Langage et la Culture: "Toute violence est, en tant que moyen, soit fondatrice, soit conservatrice de droit. Lorsqu'elle ne se prétend à aucun de ses deux attributs, elle renonce d'elle-même à toute vérité".

 

 

 

Chapitre deux

La structure narrative

ou

La spectaculaire dramatisation du destin d'un individu

 

 

1. Deuxième séquence: L'itinérant regardant

    La première apparition de l'itinérant dans le récit (c'est-à-dire la deuxième séquence), nous montre un jeune homme marginal, regardant dans une rue morbide des photos affichées dans une vitrine. A ses yeux, les clichés ne représentent pas que des photogrammes inertes, au contraire, ils lui révèlent tout un imaginaire perdu, évanoui, englouti dans les cavités de son inconscient. C'est pourquoi, cette interpellation par le regard accentue l'intensité dramatique de la séquence et par la même occasion, permet au spectateur de s'identifier davantage au personnage. Car, "plus le besoin subjectif est puissant, plus l'image à laquelle il se fixe tend à se projeter, s'aliéner, s'orienter, s'halluciner, plus cette image (...) est riche de ce besoin, jusqu'à acquérir un caractère surréel". (Le cinéma ou l'homme imaginaire, Edgar Morin, Les éditions de Minuit, 1956, p. 32-33) Par cette dialectique unidirectionnelle, le récepteur s'incarne dans cet itinérant et s'incorpore dans les clichés qu'il contemple. Cet effet de causalité permet à l'infrastructure diégétique une plus grande sophistication dans la construction du discours.

    Ainsi, l'histoire ne naît pas bêtement comme dans le film Rocky IV par la surenchère symbolique, les clichés et les stéréotypes sociaux, mais plutôt par la dénonciation du fascisme par des structures narratives, des atmosphères introspectives et des traitements esthétiques qui accentuent la représentation visuelle et sonore.

 

2. Quatrième séquence: Il discute avec la préposée d'un cinéma.

    La quatrième séquence évoque, d'une façon implicite, les relations inter-personnelles qui se forment entre l'itinérant et les personnages secondaires. Dans la première partie du film, le protagoniste demeure relativement "sociable" (malgré quelques dérapages), mais s'opèrent les conflits, les heurts, les épreuves, les télescopages qui le métamorphosent lentement, dans la deuxième partie du film, en misanthrope. Cette influence qu'accomplissent les figurants sur le personnage principal attire impérieusement ce dernier, vers la troisième et avant dernière partie du récit: le meurtre. Pendant tout le défilement de ces séquences, l'instance dénonciatrice nous amène, par une progression lente et constante, à la quatrième et dernière partie de l'histoire: la pendaison. Toutes ces corrélations cartésiennes ou, si vous préférez, ces motivations thématiques, se structurent et s'acheminent vers une dénonciation irréfutable: le refus systématique de la peine de mort.

    Cette position de déréliction qu'expose Kieslowski devant l'inévitable processus de la vie (tu nais seul, tu meurs seul) décontenance le spectateur. Car, ce qui émane de la discussion entre l'itinérant et la préposée à la billetterie, c'est tout le "no future" du mouvement punk (ces jeunes contestataires) des années 80, c'est cette barrière infranchissable de la vie que les jeunes du monde industriel semblent incapables de gravir et qui n'en finit plus de s'éterniser. C'est cet environnement pourri (air pollué, eaux polluées, arbres dénaturés, êtres sidatiques/ drogués/ malades et etc...) qui, progressivement, amène l'adolescent ou le jeune adulte soit à se suicider ou bien à arborer le statut de marginal. Ces éventualités semblent a priori peu réjouissantes mais elle témoignent hors de tout doute du malaise que notre société contemporaine vit actuellement.

 

3. Septième séquence: Il déambule dans la ville.

   La septième, vingt-deuxième et quarante-septième séquence représentent, d'une manière représentative, l'errance du personnage principal. Devant ces longs travellings arrières nous discernons une progression, une continuité, une vectorisation du récit tant par des effets de focalisation interne (caméra subjective) donnant à l'instance spectatorielle une forte identification primaire, que par des effets d'ocularisation objective permettant ainsi, à cette même instance spectatorielle, un emmagasinage d'éléments extérieurs qui forgent en lui un univers imaginaire autonome.

 

4. Neuvième séquence: Il voit un règlement de compte.

   La neuvième séquence reflète avec réalisme la Pologne évoquée et décrite dans le premier chapitre, c'est-à-dire "la Pologne perdue, en perte d'identité, une ville sur le bord du gouffre, encerclée de toute part par la répression, réduisant l'homme à l'assujettissement, au néant, à une poussière au milieu d'une structure défaillante et stagnante" (extrait du chapitre premier, la composition visuelle ou les fragments symboliques). Cette Pologne, l'itinérant la subit avec énormément de violence. Et c'est cette agressivité qui déclenche progressivement en lui, une confusion, un désordre, un chaos, l'amenant à permuter son comportement "sociable" en celui d'un anarchiste (telle la dix-neuvième, la trentième, la quarante et unième, la quarante-cinquième et enfin la quarante-septième séquence). Il faut donc voir dans les conflits sociaux, un lien, un parallèle, une similitude entre d'une part, le spectateur qui voit dérouler sous ses yeux un monde fictif, imaginaire, autonome, et d'autre part, celui de l'itinérant qui assiste dans son univers diégétique à des heurts, des luttes qui (pour lui) sont réels, mais qui, pour le récepteur, sont totalement faux. En réalité, comme le souligne Igmar Bergman lors d'un entretien: "En faisant un film, je me rends donc coupable d'une supercherie, je me sers d'un appareil construit en fonction d'une imperfection physique de l'homme, d'un appareil grâce auquel je transporte mon public, comme sur un balancier, d'un sentiment donné au sentiment opposé extrême: je le fais rire, crier d'effroi, sourire, croire aux légendes, s'indigner, se formaliser, s'enthousiasmer, s'encanailler, ou bailler d'ennui. Je suis donc ou bien un trompeur, ou bien - au cas où le public est conscient de la supercherie - un illusionniste. Je mystifie et j'ai à ma disposition le plus précieux et le plus étonnant des appareils magiques qui ait jamais été, au cours de l'histoire du monde, entre les mains d'un bateleur. Il y a là, ou il devrait y avoir là, pour tous ceux qui créent ou exploitent les films, la source d'un conflit moral insoluble". C'est dans cette double complexité du regardant / regardé que le récit se construit. Comme l'instance spectatorielle, le protagoniste diégétique subit l'action sans toutefois s'impliquer dans les conflits qu'il observe. Donc, il y a dans ce discours deux sortes de réalités, d'une part la chose racontée, c'est-à-dire l'histoire de la diégèse et d'autre part, la chose racontante, c'est-à-dire le discours d'une instance racontante.

 

 

 

Chapitre trois

   Le fascisme révélé ou brève épilogue

 

 

 

    L'analyse systématique de quelques séquences majeures du film Tu ne tueras point de Krysztof Kieslowsky, nous a permis de démontrer d'une manière "tacite", les composantes techniques et esthétiques, qui attribuent au discours filmique, un "producteur de sens", prenant son origine dans la dénonciation de la peine de mort et par extension dans le fascisme.

 

 

 

 

   "Tout homme de réflexion qui se penche sur la réalité cinématographique et l'analyse objective est contraint de prendre conscience de l'énormité du phénomène et de conclure que le cinéma est, sans conteste, l'une des plus grandes inventions du siècle."

(R. Febrix Jean, Les fondements de l'art cinématographique, Edition du Cerf, p. 9)




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